(2018, avril). L’huile d’olive. En bidon ou en bouteille, elle trône dans la plupart des cuisines, ici comme ailleurs. Pensons à toutes ces recettes qui commencent par « faire chauffer un peu d’huile d’olive… », au plaisir simplissime d’agrémenter les salades d’un trait d’huile d’olive et de vinaigre, ou encore de simplement tremper un bon pain dans cet or liquide!
Si l’huile d’olive fait partie de nos réflexes culinaires, elle nous est souvent étrangère. Par sa provenance d’une part puisqu’elle doit être importée, mais aussi parce qu’on connaît bien peu de chose à son sujet. De quelle région provient-elle? De quelles variétés d’olives s’agit-il? Comment les a-t-on récoltées? Pressées? Quelle est l’histoire du producteur? Impressionnant qu’on en sache si peu sur un produit de consommation pourtant si répandu. Si on peut, ici, visiter facilement des maraîchers, des cidreries ou des fromageries, on doit par contre traverser l’océan pour se rendre dans une oliveraie. On peut bien sûr s’informer sur les producteurs dans des boutiques spécialisées ou sur internet, mais en grande surface, on doit généralement s’en remettre aux étiquettes qui, malgré les efforts législatifs, s’avèrent une fois sur trois peu fiables.
Quand j’ai su que je retournerais en France pour un colloque, à la période de récolte des olives, j’ai tendu des perches pour trouver une oliveraie prête à m’accueillir afin de participer aux « olivades », la récolte des olives (quel nom si festif!). Parce que vous le savez, pour moi, il n’y a rien comme s’intéresser à l’origine des aliments et mettre la main à la pâte pour enrichir sa culture agroalimentaire!
Direction Moustiers-Sainte-Marie
De toutes les perches tendues, je n’aurais pas pu mieux tomber. C’est chez madame Maryse Paul, grande dame de l’huile d’olive en Haute-Provence, que j’allais être initiée à cet univers. Son oliveraie se trouve dans un coin de paradis, à Moustiers-Sainte-Marie, un village des plus charmants du département des Alpes-de-Haute-Provence.
Arrivée à Marseille en train, je repars aussitôt pour Riez en bus, où madame Paul vient me chercher en voiture, puisqu’il n’y a plus de service de bus pour Moustiers-Sainte-Marie en dehors de la haute saison. Il y a si peu de touristes à la mi-novembre qu’il a même été difficile de me trouver un gîte pour m’accueillir! Mais, heureusement, grâce aux nombreux contacts de madame Paul (c’est qu’elle connaît tout le monde et tout le monde la connaît!), on m’a déniché un gentil nid douillet.
Dès les 15 premières minutes de voiture, en faisant connaissance avec madame Paul, nous nous découvrons plusieurs points en commun comme amoureuses de la terre, gourmandes et passionnées par la qualité.
En arrivant chez madame Paul, l’extraordinaire panorama de la colline des Claux, où se trouve l’oliveraie, m’éblouit. Sur la gauche, au-delà des oliviers, on voit le village de Moustiers-Sainte-Marie au loin, enserré dans les impressionnantes montagnes rocailleuses. En face, c’est la vallée qui s’étend à perte de vue, avec le lac de Sainte-Croix tout au fond. À couper le souffle.
Je ne reste pas bouche bée trop longtemps, puisque l’équipe de bénévoles de madame Paul est déjà au travail. Après de brèves introductions auprès des cueilleuses (il n’y a que des femmes à mon premier jour), je me vois mettre un peigne entre les mains, puis on me pointe une échelle. Hop dans les arbres, car il reste environ une heure de cueillette avant le repas du midi.
Passer au peigne les oliviers
En quoi consiste la besogne à abattre quand on participe aux olivades traditionnelles? Ni plus ni moins de prendre quelques branches garnies des précieuses olives (ici de la variété Aglandau, j’y reviendrai) comme si c’était une queue de cheval, puis de les « brosser » à l’aide d’un peigne de plastique. Les olives tombent dans un grand filet disposé au sol, qu’on referme une fois les olives cueillies. Rien de plus sorcier. C’est ainsi qu’en moins de 10 minutes après mon arrivée, je m’approprie un geste millénaire.
Tout en peignant les branches, je me laisse transporter par le paysage grandiose. J’observe aussi les cueilleuses. Âgées de 20 à 35 ans de plus que moi, elles sont toutes bien perchées sur les échelles, accrochées aux branches des oliviers, comme si c’était la chose la plus facile et naturelle du monde. Ces dames sont souples, en forme, dynamiques et… bavardes! C’est que le geste répétitif de la cueillette permet amplement de se laisser aller aux discussions. Éblouie par le paysage et attentive aux histoires qu’on racontait sur des gens que je ne connaissais pas, je n’ai rien vu passer de la première heure d’olivades.
Les repas des olivades
La cloche sonne. Madame Paul nous attend pour le repas du midi, offert aux cueilleurs. Tant qu’à remonter vers la maison, on en profite pour vider les filets dans des caisses de 25 kilos d’olives, que mes nouvelles collègues empoignent comme s’il s’agissait de sacs d’épicerie. Leur forme physique m’impressionne.
Madame Paul planifie le menu des olivades longtemps d’avance, en concoctant et congelant de délicieux plats maison. La table est bucolique à souhait. Stratégiquement placée à l’ombre sur la terrasse, elle est garnie de vaisselle provençale ainsi que de cruches de vins blanc et rouge, et s’accompagne de cette vue toujours aussi imprenable.
Arrivent les amuse-bouches : poischichade, fougasse, saucisson… et évidemment pain et huile d’olive maison! Suit ensuite la daube de sanglier, puis vient l’incontournable service de fromages de la région, avec pâte de coing maison apportée par une des cueilleuses. Le repas se conclut sur une note sucrée, accompagnée d’un café. Quatre services tous plus délicieux les uns que les autres nous seront ainsi offerts chaque midi des olivades.
Aux repas, on continue évidemment de plus bel le bavardage : ce premier midi, j’ai entre autres droit à un débat enflammé sur la baisse de qualité des tomates, sur les meilleures truffes du coin, puis sur différentes huîtres. Un fabuleux repas accompagné de conversations enflammées sur la nourriture; je suis charmée.
Le plein d’énergie refait, on repart pour l’après-midi grimper aux arbres et en peigner les branches jusqu’au coucher du soleil. La journée se termine avec une infusion d’herbes aromatiques du jardin, puis les cueilleuses retournent chez elles. Certaines reviendront demain. D’autres le surlendemain.
Madame Paul et sa fille me gardent à souper. En attendant que le ragoût de petit épeautre local soit prêt, on trempe des croûtons à l’ail dans l’huile nouvelle en la comparant à celle de l’an dernier, tout en jasant huile d’olive de Haute-Provence.
Madame Paul et son oliveraie
Puits sans fond de connaissances sur les olives en Haute-Provence, madame Paul ne se destinait pourtant pas à faire des olives sa passion. Née dans une famille de paysans à Sisteron, elle sait trop bien de quoi il en retourne lorsqu’on adopte un tel mode de vie. Mais en 1986, l’idée de remettre sur pied une oliveraie abandonnée lui fait quitter la ville pour Moustiers-Sainte-Marie. Depuis, comme elle le dit elle-même dans le livre L’Olivier de Haute-Provence (Edisud, 2002), « j’ai l’impression d’élever des êtres familiers et chaleureux qui me rendent en douceur d’huile les soins dont je les entoure ».
L’oliveraie de madame Paul compte environ 200 arbres, plantés en terrasses, dont certains ont plus de 100 ans, voire plus de 300 ans. Ses oliviers sont majoritairement de la variété Aglandau, variété qui compose environ 90 % des oliveraies de Haute-Provence et qui s’est adaptée depuis des siècles aux conditions typiques de la région.
Évidemment, à l’oliveraie des Claux, on n’utilise pas de produit chimique, que du fumier de mouton de la région. On n’irrigue même pas les arbres, qui se satisfont de ce qu’offre Dame nature. Pour conserver l’humidité, madame Paul crée des petites buttes au pied des oliviers.
En mars, on commence la taille les oliviers pour assurer une bonne circulation de l’air et un bon accès au soleil. Ce processus optimise la production et facilite la récolte, car lorsqu’on a grimpé aux arbres pour récolter les olives, on comprend que la tâche peut devenir très ardue lorsque l’olivier est plus « dru ». Durant l’été, on prend soin des oliviers et en novembre, on récolte, on presse, et on savoure!
L’appellation d’origine protégée
En France, il existe de nombreuses appellations d’origine protégée (AOP) pour les huiles d’olive. Ces AOP attestent que le produit a été cultivé, transformé et élaboré dans un lieu géographique déterminé, selon un savoir-faire reconnu. Dans les années ’90, armée de son dynamisme et de sa passion pour les olives, madame Paul a contribué à mettre sur pied l’AOP de Haute-Provence. Ainsi, grâce à cette AOP obtenue en 1999, cette huile au caractère vert et ardent, dotée d’arômes qui rappelle l’artichaut, jouit d’une reconnaissance de qualité et de typicité.
Cette reconnaissance est très importante pour madame Paul. L’enjeu des huiles « de grandes surfaces » l’interpelle. « Bien que ces huiles soient préparées à partir d’olives, elles sont souvent désodorisées, puis réodorisées pour plaire aux consommateurs. Tout l’inverse des huiles de terroir » déplore-t-elle. Comme le dit si bien l’ouvrage L’Olivier en Haute-Provence, les huiles portant une AOP sont les témoins privilégiés de la réussite des producteurs à « mettre en bouteille le chant du terroir ». Une typicité chère au cœur de l’oléicultrice.
Une visite au moulin
Le jour avant mon départ, madame Paul me propose de l’accompagner au moulin où sont pressées ses olives : le Moulin Bonaventure. (Ils ont aussi leurs propres huiles d’olives, leur lavande et leurs amandes, le tout en bio). Pour s’y rendre, on traverse le plateau de Valensole. Un panorama magique. J’ose à peine l’imaginer quand la lavande est en fleur. Il faudra que je revienne en été.
En arrivant au moulin, les olives de madame Paul sont pesées. Puis, elles sont débarrassées de leurs feuilles, lavées et broyées. L’idée est de réaliser ces étapes aussi rapidement que possible suivant la récolte pour garder un maximum de fraîcheur et d’arômes. Les olives sont broyées entières, noyau et chair, ce qui donne une pâte qu’on transpose dans un malaxeur. La pâte y est chauffée à 25oC pendant 20 minutes en vue de faciliter la libération de l’huile. Elle est ensuite acheminée dans un décanteur où elle est centrifugée pour séparer la pulpe, l’eau et l’huile. La pulpe est triée pour récupérer les noyaux (utilisés comme combustible) et le reste sert d’engrais pour les champs. L’huile est recueillie puis mise en bouteilles ou en bidons.
Madame Paul retournera chercher ses bisons d’huile, qu’elle mettra en pots à l’oliveraie. Elle en gardera une partie pour elle, sa famille et ses bénévoles des olivades, puis distribuera l’autre partie à ceux qui lui en avaient réservé en prévente. Seules quelques bouteilles atterrissent sur les tablettes de l’épicerie fine du village, à Moustiers.
Moderniser les olivades
Accidenté, le relief de Moustiers-Sainte-Marie rend plutôt difficile l’utilisation de machineries pour mécaniser la récolte. Il existe un autre outil qui se retrouve aujourd’hui dans la plupart des oliveraies de la région : le peigne électrique. Le peigne se trouve au bout d’un long manche permettant aux cueilleurs de rester au sol. Ce long manche étant électrifié (on porte la batterie en sac à dos) fait vibrer les doigts du peigne. En le passant dans les arbres, cette vibration suffit à faire tomber les olives dans le filet, au sol.
Madame Paul résiste depuis des années à ce changement, craignant d’une part le poids du sac à dos à porter durant de longues heures, et d’autre part de devoir remplacer les bavardages dans les oliviers avec ses amis cueilleurs par des contractuels équipés de ces peignes électriques pour récolter les olives à forfait. Malgré ces questionnements, elle y songe un peu, tout de même consciente de l’énergie que requièrent les olivades traditionnelle telles qu’elle les fait jusqu’à ce jour. Quand j’ai quitté la colline des Claux, la fatigue des longues journées d’olivades qui se succèdent commençait à se faire sentir, malgré toute sa passion. Peut-être les peignes électriques feront-ils une entrée progressive dans l’oliveraie l’an prochain, Mme Paul a encore le temps d’y penser. Mais chose certaine, s’ils font partie du scénario des récoltes 2018, la pionnière conservera plusieurs arbres autour de la maison pour des olivades manuelles, ponctuées de bavardages et de repas champêtres. Pour la tradition et le plaisir!
La dernière goutte
Au cours d’autres voyages, j’ai déjà eu la chance de marcher au cœur de paysages d’oliviers en Grèce, en Italie, en Espagne et au Portugal. Ces balades m’avaient déjà permis d’associer des paysages à l’huile d’olive. Après ce séjour à l’oliveraie des Claux, j’y associe aussi des visages, des gestes et savoir-faire, des histoires colorées, des émotions. Extrêmement reconnaissante d’avoir pu vivre une telle expérience (la propriété de madame Paul n’est pas ouverte au public), je repars la tête et le cœur remplis de souvenirs et d’un respect encore plus grand et fort pour les agriculteurs amoureux de leur terroir. Et toujours plus convaincue de l’intérêt d’accroître sa culture agroalimentaire pour redonner du sens aux aliments.
Si, au Québec, on ne peut pas facilement prendre le champ pour visiter une oliveraie, j’espère que ce récit saura vous inspirer à être plus curieux quant à aux prochaines bouteilles d’huile d’olive qui trôneront sur votre comptoir!
Merci Julie pour ce magnifique reportage !