(2018, janvier). En novembre dernier, j’ai eu l’occasion d’assister à une table ronde intitulée Cuisine et développement durable : qu’en pensent les chefs aujourd’hui? Cette table ronde s’inscrivait dans le cadre des 13e Rencontres François Rabelais présentées par l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA) à l’université de Tours, en France.
Trois chefs français, réputés et reconnus pour leur engagement, étaient réunis pour discuter de leur rôle par rapport au développement durable : ne font-ils que suivre une tendance en répondant à une demande grandissante de la part de la clientèle ou ont-ils un rôle plus fondamental et une responsabilité de par leur statut de chefs?
Retour sur la table ronde en quelques citations et réflexions de Bertrand Grébaut (Septime, Paris), François Pasteau (L’Épi Dupin, Paris) et Michel Troisgros (Maison Troisgros, 3 adresses à Roanne et en campagne roannaise : Ouches et Iguerande).
Rapprocher la cuisine de la ressource
Tout d’abord, dans l’esprit des participants, il est clair que les chefs ont une responsabilité par rapport au développement durable – celle de donner l’exemple et de favoriser des prises de conscience – notamment en raison de leur exposition médiatique.
« La solution est dans l’acte exemplaire dans la population. Par ce que l’on mange, mais aussi par ce que l’on dit, ce que l’on propage dans les médias et sur les réseaux sociaux » (Troisgros).
Les chefs parlent aussi du développement d’une conscience de leur rôle par rapport aux gens impliqués dans toute la chaîne alimentaire. Grébaut affirme qu’il faut remettre l’humain au centre. Pour Michel Troisgros, « la surmédiatisation des chefs a parfois éloigné la cuisine de la ressource ». Pour ce dernier, dont les restaurants se situent hors des grands centres (où il fait même de l’autoproduction), la proximité avec les producteurs s’en trouve facilitée. Néanmoins, même s’il est plus compliqué d’avoir un approvisionnement hyperlocal à Paris, Pasteau précise qu’il y a tout de même du maraîchage à proximité, des œufs de poules en liberté, et même du fromage. Pour la viande, il lui est possible d’acheter une bête entière d’un producteur qu’il connaît.
Écoresponsabilité et temps invisible
L’écoresponsabilité se traduit, pour ces chefs, par un approvisionnement le plus bio possible, en mettant au menu plus de végétaux et moins de viande, en favorisant la pêche durable et en respectant la saisonnalité.
« L’alimentation écoresponsable, ce n’est pas une histoire de privation, c’est une histoire de proportion! » (Grébaut).
Être écoresponsable implique aussi de valoriser les aliments de A à Z afin d’éviter le gaspillage et traiter les humains et les produits avec respect. C’est adopter une philosophie où « c’est à nous de s’adapter au produit, et non pas au produit à s’adapter à nous » (Pasteau). Ce qui invite à une recherche constante d’idées pour « cuisiner de la racine à la fleur et de la tête aux pieds » (Grébaut). Enfin, c’est miser sur les circuits courts, la proximité et la confiance avec les fournisseurs.
Concernant ce dernier point, les trois chefs sont sur la même longueur d’onde en affirmant l’importance de se rapprocher au plus près de la production et d’être en rapport constant avec leurs producteurs dans un esprit d’échange. Ils soulignent l’importance d’entretenir un grand respect pour tous ces hommes et femmes qui sont dans les champs pour cultiver des produits de qualité.
Dans la réalité d’un restaurateur, tout ce temps investi dans la recherche, la sélection et l’entretient d’une relation humaine avec les fournisseurs-collaborateurs se traduit en temps. Un temps bien souvent « invisible » pour la clientèle.
Communication et transmission
C’est pourquoi les chefs indiquent à quel point il importe de communiquer leur démarche aux clients. Même s’il est sans doute plus facile d’exprimer la valeur de ce temps invisible d’approvisionnement, de recherche et de créativité dans une table gastronomique que dans une restauration de tous les jours, quand Pasteau diminue la quantité de viande dans l’assiette, il ne veut pas que les clients se sentent volés. Au contraire, il veut qu’ils soient fiers de participer à une démarche responsable, d’où le rôle de l’équipe de service d’expliquer la philosophie et le travail que représente la collaboration avec plusieurs agriculteurs de proximité, une démarche anti-gaspillage et la cuisine créative des végétaux.
En ce sens, les écoles de cuisine doivent bien sûr transmettre une certaine éducation agroalimentaire et anti-gaspillage aux futurs chefs, « mais ça doit aller bien au-delà des écoles de cuisine! Ça doit même être intégré aux écoles primaires pour tous. Et ça commence dans les foyers, avec les habitudes alimentaires des familles! » (Grébaut).
« Il ne faut pas attendre que le changement passe par les élites et les politiques! Ça doit venir de nous les chefs et de nous les mangeurs ». (Grébaut).
À la lumière de ces propos, on comprend que chaque chef peut s’emparer d’un rôle de leader dans l’adoption et la promotion de valeurs écoresponsables. Et nous, mangeurs, il nous revient de visiter les restaurants de ces chefs (et par le fait même d’accomplir la résolution #5!) ainsi que de reconnaître leur créativité en étant ouverts d’esprit et conscients du temps invisible investi. Et, pourquoi pas, de s’en inspirer pour notre cuisine maison!
Crédit de la photo en tête d’article : Adam Jaime
Est-ce que Bertrand Grébaut avec ses menus à 45 euros (lunch, pour le dîner on peut doubler) est au courant qu’une très grande partie des familles françaises n’ont pas les moyens financiers de manger bio et que leur seule option malheureusement est la nourriture industrielle des grandes surfaces?
Bonjour,
Merci pour votre réflexion. L’alimentation bio/durable et son « coût » soulèvent beaucoup de questionnements chez bon nombre de gens. Le sujet du prix d’une alimentation écoresponsable est fort pertinent et mérite un article en soi. Ici, toutefois il n’était pas question de prix, mais plutôt de réfléchir au rôle du chef, comme leader en alimentation, à l’égard de l’alimentation écoresponsable. Alors qu’il pourrait décider d’en faire autrement, c’est le choix de la qualité, de la proximité, de l’environnement qu’il fait en tant chef. On ne peut que le féliciter d’en faire sa mission.
Cela étant dit, visiter un restaurant gastronomique comme celui de M. Grébaut constitue pour la plupart un événement occasionnel, une expérience hors de l’ordinaire. Lorsqu’on considère l’approvisionnement alimentaire du quotidien, il n’en demeure pas moins qu’une panoplie d’options s’offre aussi aux consommateurs pour le faire de façon écoresponsable, dans le respect d’un budget modeste. Certes, ces options demandent souvent un peu plus de planification et de travail ponctuel durant la belle saison, mais l’effort en vaut la chandelle si c’est quelque chose qui nous tient à cœur. Pensons entre autres aux fruits et légumes frais et de saison qu’on peut se procurer en circuit court auprès d’un maraîcher au marché. Et en tant que consommateur, peu importe le nombre de dollars alimentaires dont nous disposons, chacun d’entre eux nous donne tout de même un droit de vote à l’égard du système alimentaire que nous souhaitons voir se développer.
Encore une fois, merci pour votre commentaire et bonne journée!