(2020, janvier). J’en bois tous les matins, parfois le midi. Je choisis des cafés biologiques et/ou issus du commerce direct et/ou équitable et/ou de torréfacteurs artisanaux du quartier ou des secteurs visités. Je pose des questions sur les provenances, mais il demeure que venant d’ailleurs, le café restait un élément de mes menus quotidiens que je connaissais assez peu.

Pour en savoir plus sur mes aliments, ma solution est souvent de prendre le champ. Après tout, comme le dit Aristote récemment cité par Dominic Lamontagne dans ce texte : « Remonter à l’origine des choses et suivre avec soin toutes les étapes de leur genèse respective est la manière par excellence d’en saisir le sens ».

C’est ainsi que j’ai choisi, cette année, de passer quelques jours de vacances post Temps des Fêtes en voyage pour prendre le champ à l’origine du café. Destination Los Altos de San Isidro, Alajuela, Costa Rica.

Début janvier, en pleine période de cueillette, semblait un moment parfait pour visiter la ferme El Toledo (baptisée selon un oiseau du secteur). Il s’agit de la ferme familiale des Calderon-Vargas, située dans la commune de San Isidro, un village situé sur les hauteurs à l’ouest de Atenas, dans la province de Alajuela, non loin de la capitale.

El Toledo offre des tours guidés complets (d’une durée de 2 à 3 heures) animés dans un anglais impeccable par Gabriel Calderon, un des fils des propriétaires Gerardo et Sole Calderon-Vargas (sur la photo ci-bas). N’importe quelle personne intéressée à découvrir le café – et l’agriculture biologique et agroforestière pratiquée ici – peuvent y participer sur réservation.

La visite commence par une présentation générale de la ferme, suivie d’une réflexion sur le « luxe » de consommer du café. En effet, lance Gabriel, considérant qu’on a besoin des terres pour nourrir la population grandissante et que l’Homme peut très bien survivre sans café, est-ce efficace de consacrer des terres pour cultiver un produit qui ne permet pas de « nourrir » les gens? Est-ce sage d’utiliser des produits chimiques (pesticides et engrais) qui affectent les écosystèmes et les fermiers, en particulier pour un produit dont on n’a pas besoin pour vivre? Le ton de la visite agriculturo-philosophique était donné.

Évidemment, les Calderon-Vargas adorent le café. Ils expliquent aussi que les terres escarpées où le café prospèrent notamment dans leur région ne sont pas propices à tous les types d’agriculture et que la culture du café fait vivre ou contribue à faire vivre quelques 70 000 fermiers au Costa Rica. Mais leurs réflexions influencent la façon dont ils pratiquent l’agriculture dans la plantation, dont la visite constitue la seconde partie du tour avec Gabriel, juste après avoir dégusté à l’aveugle leur café en trois différents degrés de torréfactions afin de déterminer notre préféré.

Dans les champs de café avec Gerardo

J’ai bien sûr fait la visite complète avec Gabriel le jour de mon arrivée à El Toledo, en guise d’introduction à mon séjour. Mais contrairement aux autres touristes de la visite guidée, je ne suis pas partie à la fin du tour. J’avais réservé une des casitas situées sur la ferme, afin de passer quelques jours de plus au cœur de la plantation en compagnie des agriculteurs afin « suivre » le café, du champ (ou devrais-je dire de la forêt) à la tasse.

Première étape : la récolte. L’étape qui m’a permis de passer une demie journée à découvrir la beauté des caféiers gorgés de cerises bien rouges, en compagnie de Gerardo, qui a grandi dans cette plantation avec ces frères et sœurs. Tandis que nous cueillions le café ensemble, Gerardo me racontait ses souvenirs d’enfance, quand ses parents récoltaient le haut des arbres et que les petits s’occupaient des parties plus basses. Lorsqu’ils prenaient des pauses, les enfants s’inventaient des jeux avec des morceaux de branches de caféiers et différents végétaux tandis que les parents cuisinaient une collation et du café sur un petit feu de branches.

Équipés de nos paniers de récolte fixés à notre taille à l’aide d’une large ceinture de cuir, afin d’avoir les mains libres pour décrocher les cerises de cafés les plus mûres, nous nous déplacions dans la plantation à flan de colline escarpée (bien que Gerardo, ayant pitié de mes chevilles de débutante, m’ait amenée dans une parcelle où la pente n’était pas aussi abrupte qu’ailleurs sur la ferme).

Tout en remplissant nos paniers, nous ne cessions de discuter : pourquoi y a-t-il peu de fermes de café biologique au Costa Rica? Pourquoi la transition a-t-elle réussi à El Toledo alors qu’elle n’a pas fonctionné ailleurs? Au-delà du bio, la ferme El Toledo est une véritable oasis de biodiversité, était-ce le secret?

La réponse à cette dernière question : oui.

Il fut un temps où Gerardo utilisait, comme ses parents avant lui et une majorité de producteurs, des produits chimiques. Jusqu’à ce qu’il devienne systématiquement malade lors des applications et qu’il décide de les arrêter, il y a une trentaine d’années. À la même époque, plusieurs autres producteurs s’étant fait miroiter des primes pour du café bio avaient aussi arrêté les intrants chimiques. Si la santé de Gerardo s’en portait mieux, ce n’était pas le cas de ses rendements, ce qui inquiétait les parents de deux jeunes enfants. La ferme devait minimalement pouvoir faire vivre la famille. Décidés à ne pas revenir aux produits chimiques, comme l’ont fait la majorité des producteurs qui s’étaient lancés dans le bio après avoir eux aussi connu des pertes de rendement importantes, les Calderon-Vargas devaient trouver d’autres solutions. C’est cette quête qui les mène sur le chemin de l’agroforesterie et de la biodiversité. En effet, on ne peut pas arrêter d’un coup les intrants chimiques et penser que tout sera du pareil au même, sans ajuster par ailleurs ses façons de faire. Il fallait laisser du temps au temps et adapter à la fois les pratiques et la vision. Par exemple, il ne fallait plus la voir la ferme seulement comme une (mono)culture qui fournit un produit (du café), mais plutôt comme un habitat pour les caféiers ET une diversité d’autres espèces végétales et animales qui favoriseraient l’équilibre d’un agroécosystème plus résilient et nourricier, fournissant du café bien sûr, mais bien plus encore.

Aujourd’hui, quand on arrive à la ferme à El Toledo, on a l’impression d’arriver dans une forêt : les caféiers poussent sous couvert arboré composé de dizaines d’espèces variées, certaines qui fournissent de l’azote au sol, d’autres encore qui attirent les oiseaux et d’autres encore qui nourrissent les Calderon-Vargas (dizaines de variétés de bananes et plantains, mangues, cajou, grenadille, oranges, citrons, mandarines, coco, papayes, etc). L’agroécosystème fournit aussi aux fermiers de la canne à sucre, du gingembre, du curcuma, des haricots, des herbes aromatiques et plusieurs autres denrées pour garnir leurs assiettes, sans parler des œufs fournis par quelques poules qui se promènent librement sur les lieux.

L’une des grandes supériorités des paysages tropicaux (…) c’est que tout y est en friche, même les terrains cultivés. Cocotiers, bananiers, plantains, oranges et papayes, tout y est comme « naturellement » mélangé et entre les arbres fruitiers on trouve des carrés de plantes herbacées (…) – Charles Darwin, lors d’une escale au Brésil, 1832.

L’ombre crée par la canopée ne nuit-elle pas aux caféiers? La question est mal formulée, me fait comprendre Gerardo. En fait, les rendements des caféiers à El Toledo sont sans doute moins grands que s’ils poussaient en plein soleil, « mais le café est meilleur », lance l’agriculteur, rieur. Una broma (une blague) comme il en lance des dizaines par jour, faciles à détecter puisque l’homme, loin du pince sans-rire, se met à rigoler rapidement après les avoir prononcées!

Meilleur café ou pas, c’est le terme « nuire » qui fait sourciller Gerardo, qui s’intéresse davantage à la productivité globale de son agroécosystème qu’à celui du café isolément. Même si le rendement de café est un peu moins grand par unité de surface que sur d’autres fermes ayant moins d’arbres et de diversité, la même unité de surface est plus nourricière pour les Calderon-Vargas, pour la faune et pour le sol (puisque les feuilles des arbres qui tombent finissent par former un riche humus in situ). J’ai d’ailleurs été bien touchée quand Gerardo, assis par terre pendant une petite pause de cueillette, a pris dans ses mains une pleine poignée de terre qu’il a longuement humée, les yeux fermés et qu’un large sourire de plénitude illuminait son visage. La satisfaction d’un fermier qui aime son sol autant – sinon peut-être même plus – que son café.

Le traitement du café

Après avoir rempli nos paniers de cerises de café bien mûres, nous les avons fait passer dans l’appareil qui sert à séparer la peau de la cerise du grain de café. Selon les techniques, d’une ferme à l’autre, ce traitement nécessite plus ou moins d’eau. Dans un souci écologique, le traitement du café à El Toledo requiert peu d’eau si bien que le grain de café, qui n’est pas lavé de fond en comble, conserve une petite quantité de mucilage qui caramélisera durant la fermentation et le séchage. Cela procure au café un arôme unique et légèrement fruité. C’est ce qu’on appelle le procédé Miel, un type de traitement répandu au Costa Rica. (Pour en savoir plus sur le traitement du café et le procédé Miel, voici un court texte vraiment éclairant).

La journée suivant la récolte, j’ai aidé à remuer les grains de différentes batchs de cafés en train de sécher au soleil (ci-dessus). J’ai aussi participé à la torréfaction du café (ci-bas). Un parfum dont je me rappellerai toujours, teinté de toutes les couches se sens dont le café venait de s’enrichir à mes yeux.

Au marché avec Geraldo

5h15 am, en route vers la Feria del agricultor de Atenas. C’est l’heure que ce bon café prenne le chemin des cafetières des amateurs.

Au marché (qui rassemble des fermiers et des revendeurs), j’aide Gerardo à monter sa petite table garnie de son café torréfié léger, médium ou foncé. Sur sa table figure aussi leur « thé de café ». Bien sûr, composter la peau de la cerise de café pour la retourner au sol est judicieux, mais les Calderon-Vargas en conservent une petite quantité qu’ils valorisent en la faisant sécher (comme les grains de café). Ces peaux séchées, une fois infusées, constituent une délicieuse tisane (caféinée) qui n’a pas du tout le goût de café mais bien une saveur fruitée. Les visiteurs à la ferme peuvent d’ailleurs déguster ce thé de café sous forme de thé glacé au retour de la balade dans la plantation. Ce thé de café est également passé au moulin de façon à obtenir une farine de café (caféinée aussi) qu’on peut ajouter aux recettes de biscuits, muffins, gâteaux, etc.

Le dernier et non le moindre produit sur la table de Gerardo : la liqueur de café. C’est Gabriel qui fait différents tests de fermentation depuis quelques années et qui obtient un résultat intéressant à environ 14% d’alcool, version nature, parfumé au café ou parfumé au gingembre de la ferme.

Si on revient à la question de la rentabilité, Gerardo admet que son rendement en café n’est pas le plus élevé par unité de surface. Mais d’une part, tel que raconté plus haut, sa terre contribue à l’autonomie alimentaire de sa famille. D’autre part, avec un brin d’inventivité, sa table au marché est garnie d’autres produits conçus et préparés à la ferme permettant de valoriser d’autres parties des cerises que le grain, augmentant ses ventes globales pour la même quantité de café récoltée. Enfin, la décision d’ouvrir les portes de El Toledo aux visiteurs constitue une autre façon de diversifier le revenu des Calderon-Vargas. Ça, c’est pour les bénéfices qui se calculent, puisque la meilleure santé de Gerardo et les services écosystémiques, ça n’a pas de prix!

Au marché, l’ambiance est amicale, la majorité des gens se connaissent. Le café El Toledo trouve preneur tant auprès des locaux que des étrangers, majoritairement des américains qui vivent une partie de l’année au chaud dans le secteur d’Atenas.

Je suis moi-même partie au Costa Rica avec un sac à dos à moitié vide afin de revenir avec autant de sacs que café que me le permettait mon carry-on. Ce café ramené à la maison, ce n’est pas un souvenir de voyage à entreposer en attendant les occasions spéciales, le café étant à son meilleur peu de temps après avoir été torréfié. C’est donc en sirotant une tasse de café corsé que je termine ce récit de voyage gourmand. Le mot de la fin à Gabriel : « Le café n’est pas nécessaire. C’est un plaisir, un luxe. Cela ne confère-t-il pas une certaine responsabilité partagée de le produire et de le choisir bien, quitte à en consommer moins? » 

À l’inverse d’une invitation à l’abstinence, j’y vois plutôt un écho aux paroles d’Aristote : une invitation à remonter à l’origine des choses pour en saisir le sens. Une démarche qui, pour moi, décuple le plaisir.

 

Note 1. Tous les propos attribués à Gabriel et Gerardo sont des traductions libres de l’anglais et de l’espagnol. J’espère ne pas avoir « lost in translation » trop de leur sagesse.  

Note 2. Cet article n’est ni commandité, ni une pub. C’est simplement le récit d’un voyage personnel dont j’ai assuré tous les frais. Cela dit, tant mieux si ça vous donne envie de découvrir, vous aussi, El Toledo lors d’un futur voyage au Costa Rica!

Note 3. J’ai dormi dans la casita nommée « Tucan Tiny House » et ce n’est pas de la fausse représentation : j’ai bel et bien pu voir des toucans. Si vous aimez les hébergements rustiques, les trois casitas de la ferme se réservent sur Air bnb.

Note 4. En attendant votre prochain voyage, si vous souhaitez en savoir plus sur le café, informez-vous sur les cours de Saint-Henri Micro-torréfacteur offerts à Montréal et à Québec. J’y reçu le niveau 1 en cadeau de Noël (merci maman!) que j’ai suivi en guise de préparation, à la veille de mon départ. Saint-Henri effectue du commerce direct et propose des cafés Miel du Costa Rica si la découverte vous intéresse!

Julie Aubé