(2020, 07). Dès le début du printemps, on savait tous que l’été 2020 ne serait pas comme les autres.

Pour moi, sans Événements Prenez le champ!, sans conférences et sans tournée de marchés publics, il s’annonçait nettement plus sédentaire que d’habitude.

Tout cela reviendra.

En attendant, je suis privilégiée d’avoir pu continuer à écrire des articles ainsi qu’à développer et publier des recettes. Puis, bien qu’avec un peu de retard sur la date de parution initiale, mon nouveau livre est sorti à temps pour le début de la saison des récoltes. Privilégiée disais-je.

Privilégiée aussi d’avoir pu passer le confinement à la campagne.
Dans un coin de campagne qu’on a choisi, avec le projet de s’y enraciner.
Après des années de jardinage de balcon, puis de jardins temporaires dans des lieux loués, je savoure le plaisir immense de pouvoir enfin planter des vivaces en me disant que je les reverrai l’an prochain. Depuis peu, je cultive enfin un jardin sur un petit lopin de campagne bien à nous. Privilégiée, c’est important de le répéter.

Mes jardins des derniers étés étaient des « jardins de la résilience », comme j’aimais les appeler, parce qu’ils devaient survivre à mes déplacements estivaux. Certains végétaux subissaient plus que d’autres le manque d’eau ou de désherbage. D’autres montaient en graines en l’espace de quelques jours d’absence. D’autres encore me surprenaient par leur générosité malgré les soins imparfaits. Impressionnante et résiliente nature.

En envisageant un été 2020 plus sédentaire, une chose s’avérait claire : cet été, je ferais encore un jardin, un grand jardin, et j’en prendrais bien soin.

Dès le printemps, j’ai démarré mes semis. Beaucoup (trop!) de semis.
Dès le printemps, j’ai eu des succès et des échecs.
Certains végétaux n’ont jamais germé, d’autres semés trop tôt ont étiolé.
Mais certains semblaient résolus à vivre, même sans néon ni tapis chauffant.

Dès que la neige a fondu, j’ai agrandi mon potager. En détourbant manuellement au jus de bras et à la pelle. J’ai triplé sa grandeur pour les annuelles et ajouté des îlots permanents pour des fruits, des légumes et herbes bisannuelles, vivaces ou d’autres qui se resèment naturellement.

Puis j’ai envisagé ce que je n’avais jamais pu faire avant : avoir des animaux.
Parce que si mon « jardin de la résilience » me pardonnait mes absences de fille-qui-travaille-souvent-sur-la-route, il en est autrement avec le vivant à deux ou quatre pattes.

C’est ainsi que, à l’instar de milliers d’autres Québécois plus sédentaires cet été, je suis devenue maman poule en juin. J’héberge les trois plus belles pondeuses brunes du monde (allo l’objectivité de maman-poule!). Elles sont des retraitées d’une ferme où elles ont offert leur première année de ponte quotidienne. En échange de mes bons soins, le trio nous offre quand même deux à trois œufs selon les jours.

Puis, depuis juillet, j’héberge deux cochons-de-jardin appartenant à un agriculteur du coin. Ça me permet d’apprendre à en prendre soin tout en ayant un service de détourbage pour une nouvelle parcelle de jardin l’an prochain. Une parcelle que je n’aurai pas à détourber au pic et à la pelle comme ce printemps, et qui sera en prime fertilisée naturellement.

Mes journées commencent avec le train des animaux : nettoyer, nourrir et abreuver cochons et poules (et récolter les œufs frais!). J’enchaine avec une matinée de travail à l’ordinateur, un après-midi au potager (selon les jours à semer, soigner, tailler, désherber, arroser, biner, récolter…), et en fin de journée, après avoir refait le train des animaux, je m’atèle à cuisiner les récoltes. Évidemment, cette journée-type n’est pas coulée dans le béton : je peux facilement la tourner à l’envers en fonction de la météo ou de rendez-vous. Mais chose certaine, en prenant la responsabilité d’accueillir des animaux, je m’engageais à être présente à tous les jours. L’été 2020 est mon premier été sédentaire d’apprentie-fermière au quotidien.

On s’entend : j’ai seulement un grand potager, 3 poules et 2 cochons.
Rien à voir avec la superficie et la ménagerie des fermes qui visent à vivre de la terre.
Un format qui va sans doute me permettre une certaine autosuffisance en légumes entre la mi-août et la fin septembre, mais en juillet, la majorité des légumes n’étant pas encore mûrs, une chance que j’ai mon panier bio pour compléter et des marchés et kiosques fermiers pour les fruits et TOUT le reste!

Le mot-clé est « apprentie ». En fait, je crois que je resterai « apprentie » toute ma vie en ce qui a trait à l’agriculture. Chaque fois que j’apprends quelque chose, ce n’est que pour découvrir l’immensité de tout ce que j’ai à connaître encore.

Même à ma toute petite échelle « d’apprentie », les journées sont rythmées par le vivant, la nature, la météo et l’évolution de la saison. Par les succès (comme ces betteraves finalement réussies après quatre tentatives de semis) et les déceptions (comme ces poivrons dorlotés depuis la fin mars rongés en une nuit par les vers gris). Par les problèmes et les solutions, parfaites ou pas. Par la sueur et les ongles noirs. Par les meilleures douches froides et aucun problème à s’endormir le soir. Par plus de visites à la quincaillerie qu’à l’épicerie. Par l’émerveillement et la gratitude. Par l’inquiétude aussi, comme celle de protéger les poules des prédateurs venus de terre ou des airs. Ou celle de garder ma toile d’occultation au sol même quand soufflent les grands vents. Et surtout, par les 300 questions (minimum!) que je me pose par jour. Des questions auxquelles il n’y a que rarement une réponse unique et universelle. C’est aussi ça, travailler avec du vivant.

Les gestes répétitifs m’apprennent la patience. Les conditions parfois difficiles (bonjour canicules!) m’apprennent l’endurance. Les difficultés à réussir certains légumes m’apprennent la persévérance. Le temps nécessaire pour les récolter et les nettoyer me rappellent d’apprécier chaque bouchée. Et me fait redoubler de créativité pour ne rien en gaspiller.

J’éprouve une joie sincère pour des choses simples, comme compter mes poules et me sentir apaisée chaque fois qu’elles sont trois. Voir éclore les fleurs qui étaient encore, il y a quelques semaines ou quelques mois, une toute petite graine. Écouter les oiseaux et philosopher avec moi-même en désherbant. Servir des repas inspirés de mes récoltes, simples mais si riches de sens. Je savoure les petites réussites et j’apprends de mes nombreuses erreurs.

Cet été d’apprentie-fermière me permet de bouger, de respirer de l’air pur, de ralentir le rythme et de me nourrir simplement ; c’est humble et riche en même temps.

Cet été d’apprentie-fermière fait grandir l’admiration déjà immense que j’ai pour les agriculteurs. Et la gratitude envers ces gens passionnés qui travaillent pour nourrir la terre et les hommes. Quand on s’essaie à faire pousser des aliments, il y a quelque chose qui change dans notre appréciation. Ce n’est plus juste des connaissances, c’est du « ressenti ». On ressent mieux tout le travail et le savoir-faire nécessaire qu’il a fallu déployer pour produire ces denrées qu’on ne prend plus pour acquises. Mes tomates ne sont pas encore prêtes, mais quelle joie d’en avoir déjà dans le panier de mon fermier de famille. Mes semis de melon n’ont jamais levé et la quasi-totalité de mes semis d’oignons n’ont pas survécu à l’implantation, mais quel bonheur d’en trouver dans les kiosques fermiers des environs! Je n’ai pas cultivé d’aubergines cet été, mais des voisins maraîchers l’ont fait et c’est avec un plaisir « reconnaissant » que j’en achète au marché.

Cet été d’apprentie-fermière fait exploser l’appréciation des aliments qui sortent de mon jardin ET celle envers tout le système alimentaire qui nourrit le voisinage et la collectivité.

Cet été d’apprentie-fermière confirme mon désir de continuer de partager la grande et si nourrissante beauté de la nature, de l’agriculture et de la proximité.

Si je ne sais pas encore à quoi ressemblera la suite, je ne regrette pas un instant du moment présent.

Photos. Le visuel de cet article est l’œuvre de la talentueuse Daphné Caron

Julie Aubé